Le piège de la reclassification des cadres

En 2016, La direction de Kiloutou s’est engagée dans une “pesée de poste” de ses salariés.

Cette même année nous mettions en ligne un article paru dans le n° 146 de la CFTC Cadres car il nous semblait important d’informer les salariés des conséquences d’une reclassification.

En janvier 2018 nous apprenons que la direction a décidé de façon unilatérale d’appliquer une re-classification de ses cadres.

La classification des salariés fait partie de la convention collective (accord d’entreprise) qui est encore en cours de négociation.
La CFTC déplore  le manque de concertation de la direction de Kiloutou avec ses partenaires sociaux sur ce sujet si important.
Comme pour la suppression de la prime pour les techniciens et la logistique, la direction de Kiloutou passe en force. Nous en prenons acte.

N’ayant eu aucune information, nous pouvons supposer, vu la méthode employée, que cette reclassification aura des effets négatifs. Certains cadres vont voir leur rémunération baisser par le changement de classe du barème des primes d’ancienneté par exemple.
Pour certains cadres qui touchaient des bonus, ou bénéficiaient d’avantages comme la voiture de société ou de fonction, là aussi, le montant serait revu à la baisse voire supprimé. Un avantage serait parfois réintégré dans le salaire de base mais est-ce dans des proportions équitables ?

Selon les premier éléments de la convention collective en cours de négociation, la grille des salaires mensuels mini des cadres baisserait de 100€ à 500 € par rapport à la grille précédente en fonction de la classe. C’est donc potentiellement une grosse baisse du pouvoir d’achat que va subir ce statut pour les nouveaux cadres entrants.

Vos partenaires sociaux n’ont eu aucun détail de l’ampleur de cette mesure sur les cadres en poste chez Kiloutou.
Combien de cadres sont ils impactés, dans quels secteurs, quel est le préjudice sur la rémunération ? Quel sont les prochains statuts concernés, les AM, les Employés ?

La direction aurait décidée de remettre de l’ordre dans la classification pour, soit disant, “plus de justesse”, “de pragmatisme”, “de clarté”, avec le concours du cabinet Deloitte qui a travaillé sur le sujet.

Cette reclassification est floue… et quand c’est flou, il y a un loup.

Aucun des partenaires sociaux n’a participé à cette étude, ni avec le Cabinet Deloitte, ni avec la direction, ni en amont sur la méthode employée. Pourquoi ce manque de transparence avec les partenaires sociaux ?

Les syndicats CFTC et la CFDT reunis en intersyndicale, sommes surpris d’être les seuls à réagir et à communiquer sur cette décision unilatérale de l’entreprise.

L’article ci-dessous explique les conséquences du système de “rémunération mécaniste” dans lequel Kiloutou semble s’être engagé avec cette reclassification en commençant par les cadres…

Publié en 2016, cet article n’a pas pris une ride.

Le voici en intégralité pour que chacun comprenne le piège qui semble se refermer sur les salariés et sur l’entreprise en terme de gestion et de coût :


Déjouer les pièges des systèmes de rémunération mécanistes

L’individualisation des salaires des Cadres est devenue la norme, au point de rendre parfois illisible et contre productif le système de rémunération. Les grands groupes, bientôt suivis des entreprises de taille moyenne, ont alors cherché conseil pour introduire des règles collectives à la gestion individuelle des salaires. Ainsi sont nés les systèmes de rémunération mécanistes, plus connus par le nom des cabinets de conseils qui les promeuvent (Hay, Hewit, Mercer, Towers Watson, TPF&C, Wyatt, etc.). Le cabinet Sextant, expert auprès des CE, nous alerte sur les risques qui y sont attachés et nous conseille sur la meilleure manière de s’en prémunir.

Qu’est-ce qu’un système de rémunération mécaniste ?

Les modèles de gestion mécanistes de la rémunération ont pour objectif principal de résoudre une équation paradoxale : introduire des règles collectives et un pilotage central, à une gestion toujours plus individuelle des salaires. Inventée en 1945, introduite en France en 1967 et largement diffusée depuis, la « Méthode Hay » demeure aujourd’hui la plus répandue (plus de 550 entreprises l’utilisent en France).

La méthode consiste à :

  1. Coter chaque poste dans l’entreprise à partir de sa description, en lui attribuant des « points » sur les trois critères suivants : compétence, initiative créatrice et finalité
  2. Regrouper en grade, tous les postes, de quelque nature que ce soit, entrant dans la même tranche de points
  3. Construire une grille de rémunération interne, attribuant à chaque grade un couloir de rémunération (plancher, valeur-pivot, plafond), souvent influencé par une enquête sur les rémunérations du secteur (référentiel marché)
  4. Comparer le salaire de chacun à son salaire de référence marché » (le compa-ratio)
  5. Evaluer chaque salarié
  6. Procéder à la revalorisation salariale en fonction du compa-ratio et de l’évaluation.

Ce processus de mise en œuvre, quasiment identique dans toutes les entreprises, est réputé permettre aux directions de :

  1. Piloter la masse salariale, tout en rémunérant un tant soit peu la performance individuelle,
  2. Fixer et faire évoluer les salaires d’embauche, attirer et conserver les « talents » ,
  3. Homogénéiser ou objectiver les rémunérations au sein des différentes filiales d’un groupe, pour faciliter les mobilités.

Cette démarche vise à « mettre fin au pifomètre » en introduisant une approche rigoureuse de classification des postes. Elle est souvent plébiscitée par les services Ressources Humaines, car elle est réputée apporter rigueur, objectivité et équité.

Mais d’une part, cette démarche est paradoxalement coûteuse (plusieurs dizaines, parfois centaines de milliers d’Euros par an), tant dans sa mise en place que dans sa maintenance annuelle. Et d’autre part, elle se révèle à l’usage, peu rigoureuse, ni objective ni équitable pour les salariés.

Quelles en sont les limites et les pièges ?

En pratique, la cotation (ou pesée) des postes est généralement réalisée par un consultant externe, aidé du service Ressources Humaines, à partir de la seule fiche de poste. Les salariés des postes concernés sont rarement sollicités, moins encore les représentants du personnel, éloignée du terrain, la « cotation » a toute les chances d’être subjective.

Les critères de pesée sont souvent peu nombreux et parfois peu adaptés aux spécificités des métiers (surtout chez Hay) : pas de prise en compte des facteurs de risque, de la polyvalence, de la dimension internationale, des interactions, etc. Bref, dans bien des situations, la méthode manque de rigueur.

Bien souvent, la démarche toute entière est introduite de manière confidentielle, par tests successifs, sans débat ni consultation. La grille de rémunération interne n’est jamais négociée avec les organisations syndicales. Pourtant, elle va peu à peu supplanter la grille conventionnelle, qui ne servira plus aux représentants du personnel qu’à vérifier le respect des minima. Les méthodes ayant présidé à la cotation, à l’établissement des grades, de la grille, des référentiels marchés et des couloirs de rémunération sont rarement communiqués aux représentants du personnel, ou sous une forme obscure, qui n’en permet pas la critique. La démarche risque par conséquent d’appauvrir considérablement la qualité du dialogue social sur la question des rémunérations.

Les couloirs de rémunération, pour un poste donné, présentent généralement une amplitude de +/- 20 % de la valeur pivot. Loin d’homogénéiser les salaires, la démarche mécanique encourage, en semblant l’argumenter, l’individualisation des rémunérations.

En outre, la capacité de la démarche à justifier d’importants écarts de salaires entre deux postes par la référence au « marché externe », est facteur d’iniquité difficilement objectivable à l’intérieur de l’entreprise.

Pour les métiers récents ou internationalisés, cette référence « externe » fait courir le risque d’une grande volatilité des rémunérations, difficilement compréhensible par le reste des salariés, positionnés sur des métiers plus « stables

Les managers amenés à appliquer la méthode ne disposent en général que des informations de leur périmètre, sans vision globale sur la politique de rémunération, sans réelle autonomie de décision. Les méthodes mécanistes conduisent fréquemment à une déresponsabilisation du manager (“ce n’est pas moi qui décide de ton augmentation, c’est le système ») et rigidifie la relation hiérarchique.

Enfin, dans un contexte de fortes contraintes budgétaires et de rigidité du système, les managers sont conduits à instrumentaliser l’évaluation pour limiter la revalorisation de salaires. Dès lors, les modèles mécanistes produisent l’inverse de ce pour quoi ils ont été inventés : de l’inexactitude, de la subjectivité et finalement de l’injustice.

Comment en déjouer les pièges ?

Le premier défi des représentants du personnel est de détecter l’existence ou la mise en place d’un système mécaniste de gestion de la rémunération. Pour cela, traquez le vocabulaire de votre direction : “méthode scientifique ou Hay ou Hewit, Mercer, etc.” “référentiel marché”, “pesée ou cotation des postes” “comparatio”, etc.

Ensuite, nous vous recommandons de vous inviter dans le processus : demandez à participer aux travaux de cotation des postes, ou à défaut, nommez un expert pour analyser (et le cas échéant remettre en cause) la méthode déployée dans votre entreprise.

Lors des Négociations Annuelles Obligatoires (NAO) sur les rémunérations et le partage de la valeur, demandez une présentation de la méthode, de la grille et des processus d’évaluation. Faites de l’amplitude des couloirs de rémunération un objet de négociation et le cas échéant de communication avec les salariés.

N’hésitez pas à demander à l’employeur une formation à la méthode Hay (ou équivalent). Au besoin, utilisez le budget de fonctionnement pour vous payer vous-mêmes cette formation.

Sur ces sujets à la fois techniques et essentiels pour les salariés, le Comité d’Entreprise peut opportunément saisir les Consultations sur la Situation économique et financière ou sur la Politique sociale, pour nommer un expert et lui demander l’expertise du système de rémunération.

Accès à l’article du N° 146 CFTC Cadres

Nathalie NAGEL et Frédéric GARDIN
www.sextant-expertise.fr
Expert auprès des CE et des CHSCT
Cadres-CFTC n° 146

 

Cliquez ici pour contacter la CFTC sur ce sujet (page contact)

 

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